Nickisch Walder Architekten en conversation avec Adriana Beretta et Olivia Funes Lastra
Architectures minuscules entre jeu et survie
Cycle de quatre rencontres organisées par le LéaV-Ensa Versailles, l’École Camondo Paris-MAD, le Centre culturel suisse. On Tour. Sous la direction de Claire Hoffmann, Alexis Markovics et Annalisa Viati Navone.
Le dialogue entre les artistes Adriana Beretta et Olivia Funes Lastra et les architectes Nickisch Walder, modéré par Annalisa Viati Navone (historienne de l’architecture, chercheuse au LéaV – Ensa Versailles), vise à croiser ces différents regards et sensibilités à l’œuvre dans le projet d’un chez-soi qui se qualifie de refuge temporaire dans des lieux extrêmes, que ce soit le désert ou les cimes enneigés en haute altitude, et à découvrir avec les créateurs-architectes et l’usager-artiste les qualités cachées et surprenantes de leurs intérieurs.
Architectures minuscules est le titre d’une série d’œuvres d’Adriana Beretta où la maison, telle que nous avons appris à la dessiner dans notre enfance sous sa forme de ‘hiéroglyphe’, constituée de deux rectangles et de deux pentagones, est proposée en 25 variations. Détachées de tout contexte, les petites maisons abstraites, décomposées dans leurs surfaces élémentaires appellent l’observateur à entamer un procès de recomposition qui déclenche une mosaïque de souvenirs et de sensations liés au concept même d’habiter. Le point de départ de cette production artistique remonte au premier voyage de l’artiste au Niger dans l’oasis d’Iférouan, où elle a pu apprécier la réduction du chez-soi à une forme géométrique élémentaire et rudimentaire, un parallélépipède percé d’une porte et à la limite d’une fenêtre, qui s’est révélé à elle dans sa morphologie essentielle d’artefact intemporel et introverti, avec un intérieur invisible, qui se dressait sur un sol sablonneux s’étendant jusqu’à la ligne d’horizon sans interruptions.
La pratique d’Olivia Funes Lastra tente de trouver les analogies possibles entre langue, mémoire et architecture dans l’expérience du déplacement géographique et linguistique. Elle utilise des couleur vives et des tissus peints pour assembler des architectures éphémères et nomades issues de sa propre mémoire des lieux et langues habités. Ces espaces souples et colorés deviennent des espaces de jeu où elle y intègre son corps et sa voix avec d’autres à travers des lectures performés. Les textes lus à voix haute, sont conçus grâce au mouvement même de la traduction.
Si l’on voulait indiquer quelques mots clés, condensation, variation, mouvement, apparaîtraient comme les nœuds de ce fil rouge reliant les expérimentations d’Adriana Beretta, les architectures éphémères d’Olivia Funes Lastra, ainsi que les réflexions de l’atelier Nickisch Walder Architekten à l’origine de deux réalisations. Le Refuge Lieptgas (2012) à Flims qui se présente comme l’idéogramme de la maison élémentaire, une sorte de cabane englobant une structure préexistante servant autrefois d’abri pour les paysans, un objet monolithique “brut”, réduit à l’essentiel, et le Camp de base du Cervin constitué de 25 petits refuges qui répondent, dans la forme et la double structure, au principe de la tente traditionnelle. Leur disposition ludique dans le paysage, comme des pliages d’origami, joue avec la légèreté suggérée par la forme et la petite dimension des abris revêtus à l’extérieur par une coque en aluminium qui renvoie les moindres variations de la lumière, alors que l’intérieur, enveloppé dans un tissu imperméable, tout comme les petites maisons d’Iférouan se distinguaient par l’élégance de la décoration en tissus colorés, condense l’ambiance d’un dedans-matrice et utérin, où se blottir dans une situation de confinement, pour la durée d’une nuit.
éléments biographiques
Nickisch Walder Architekten
Selina Walder (1976) est architecte diplômée de l’Accademia di architettura de Mendrisio sous la direction de Valerio Olgiati dont elle a été l’assistante de 2004 à 2006 dans l’atelier de projet. Elle a été commissaire de l’exposition Elle “DADO – gebaut und bewohnt von Valerio Olgiati und Rudolf Olgiati” qui a eu lieu à la Gelbe Haus à Flims.
Georg Nickisch (1977) est également architecte diplômé de l’Accademia di architettura de Mendrisio dans l’atelier de Peter Zumthor. Ensuite il a travaillé à la même école comme assistant de Jonathan Sergison et a enseigné dans le rôle de Professeur invité à la Haute école d’art et de design di Genève (HEAD).
En 2005 ils fondent le bureau d’architecture Nickisch Walder Architekten à Flims, dans les Grisons. Ils s’intéressent aux bâtiments et constructions authentiques anciens ayant une forte présence tectonique, qui font l’objet de rénovations et transformations, comme le Réfuge Lieptgas (2012) qui fonctionne de porte d’entrée au foret autour de Flims. Ils expériment des constructions hybrides béton-bois pour réaliser des espaces intérieurs très flexibles ou s’alternent des sentiments d’extraversion et d’introversion par rapport au paysage, comme dans la maison bi-familiale Sulten à Flims (2013-2019). Ils ont exploré la toute petite dimension du chez soi dans le « Matterhorn Base Camp » (2014) constitué de 25 refuges à forme de tente situés sur le sommet du Cervin. En 2017, le projet de rénovation d’un bâtiment scolaire du XIXè siècle, situé à Valendas dans les Grisons, transformé en centre d’accueil pour les visiteurs du parc de Beverin a reçu le prix SIA Umsicht - Regards - Sguardi.
Adriana Beretta
Adriana Beretta (1950) vit et travaille à Bellinzona (Canton Tessin, Suisse). A travers plusieurs langages et techniques, elle expérimente le voyage comme méthode poétique : pour elle, il ne s’agit pas d’une recherche de dépaysement mais d’un séjour prolongé dans un lieu ; elle en saisit l’esprit en partageant la vie quotidienne des habitants souvent dans leurs maisons et, à son retour, le travail en atelier inscrit ces expériences dans son parcours artistique où l’observation et le souvenir sont entremêlés. Après un premier bref séjour au Niger en 1996, elle retourne à plusieurs reprises, de 1998 à 2002, dans l’oasis d’Iférouane, situé dans le massif de l’Aïr au Sahara nigérien. Elle y vit et travaille auprès des habitants et s’imprègne de la culture touareg. C’est là qu’elle initie une réflexion sur les Architectures minuscules qu’elle a muri durant le confinement en 2020 et qu’elle a présenté en 2021 au sein de l’exposition Architetture minuscole. Progetti e piccoli aggiustamenti (Architecture minuscules. Projets et petits ajustements) à la Fondazione d’Arte Erich Lindenberg (Porza, Canton Tessin).
Olivia Funes Lastra
Artiste de Buenos Aires, Olivia Funes Lastra sort diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy en 2020. Elle poursuit sa formation avec le master Programa de Artistas de l’Universidad Torcuato Di Tella en 2021. Ses oeuvres sont transdisciplinaires, mêlant l’installation, la vidéo, le texte et la performance. Elle crée des espaces transitoires qui mutent en espaces de jeu dans lesquels elle recherche des analogies possibles entre langage, mémoire et architecture. Son travail s’est déployé dans des expositions collectives à la fois dans des institutions et des espaces indépendants tels que Satélite en 2021, le FRAC Picardie en 2022, l´Institut Français de Madrid en 2023. Elle fait partie des artistes invité.es à l’édition 2024 de la Biennale de Lyon.