Pierre Keller, “Haras de Cluny 14”, 1988

Pierre Keller et Ben Vautier

Une histoire de cul ture

Autour des "culs de chevaux des haras de Cluny" de Pierre Keller, polaroïds grand-format, Ben parle de "cul ture" avec ses tableaux-écriture.
"Je suis un piètre dessinateur, et pourtant s'il est une chose que je puisse reproduire les paupières closes,  c'est l'animal le plus beau qui soit et certainement le plus difficile à croquer.
Bref, des croupes, du sombre fourreau au crueux des reins en passant par la raie de misère, les flancs ou la figue à crottins, j'en connais tous les détails, et les plus variés qui soient. Jamais je n'aurais imaginé découvrir nouveauté en la matière. Jusqu'à ce que Pierre Keller ne présente ses polaroïds du hars de Cluny. (…)
Surnommé l'archéologue du désir pour ses travaux sur les corps d'homme décadrés, en proie à la copulation sulfureuse et morbide au fond des docks new-yorkais les plus sombres qui soient ou dans les saunas masculins à l'humidité bien plus ténébreuse que certains charniers, Pierre Keller, ethnologue du sexe violent, avec ses croupes de reproducteurs, a dérivé de façon époustouflante en anatomiste méticuleux du beau. Voire en sitologue du cul équin posé, tant ses croupes de chevaux cadrés serrés sont sages, immobiles et pâmées, offertes aux études impudiques. Il les met à nu comme sous le microscope du chercheur, avec beaucoup plus de poésie toutefois, découvrant toute la palette subtile des variétés de robes, la densité d'une paire de testicules "tête de nègre", la finesse et la sensualité d'un lacis de veine, fleuve boursouflé d'un blanc au tissu tendre et crémeux.
Pour le profane, celui qui n'est pas homme de cheval, il est peut-être ardu de reconnaître ceratins détails, donc saisir la situation, le modèle, le dessin. Si mon expérience des ongulés me permet de ne point trop m'égarer sur l'aubère d'une robe, le gris-bleu pommelé d'un percheron, le ventre levretté d'un pur-sang ou la hanche creusée d'un sillon moiré d'un anglo-arabe, je ne peux m'empêcher devant les "peintures" de Pierre Keller, de plonger dans l'imaginaire. À l'instar de son ami, Jean Tinguely, "la peinture de Pierre m'a fait rêver".
Texte : Homeric, extrait de la préface de "Horses"